Très critiqué ces dernières semaines, le président de l’OM Jacques-Henri Eyraud a publié une longue tribune sur son compte Linkedin pour détailler son plan de restructuration du club phocéen, qui avait filtré il y a quelques minutes via RMC Sport. Voici sa tribune en intégralité ci-dessous.
“Depuis quelques jours et l’annonce du recrutement en cours d’un “Head of Football”, de nombreuses personnes m’ont interrogé sur notre vision concernant la structuration de l’OM. C’est effectivement l’occasion de préciser cet aspect important de notre stratégie, j’ai donc décidé d’écrire ces quelques lignes.
Les clubs de football – l’OM a fortiori – ne sont pas des organisations comme les autres. Souvent issus du milieu associatif, peu à peu professionnalisés, ils sont au fond de modestes PME avec une caisse de résonance digne d’un groupe du CAC40. Ils sont extrêmement visibles et suscitent parfois, comme à Marseille, d’immenses passions. Enfin, ils jouent un rôle de cohésion sociale fondamental. C’est pourquoi certains d’entre eux, tel l’Olympique de Marseille, sont finalement beaucoup plus qu’un simple club de foot.
Leur organisation et leur structuration est un sujet dont on parle assez peu, car dans le football, on vous dira souvent que seuls les résultats sur le terrain comptent. Et c’est là que tout se complique : le football est un secteur où la pression du court terme est immense, où les forces exogènes vous assaillent et font pression sur la prise de décision. Et comme me disait hier le patron d’un récent vainqueur de la Ligue des Champions, si vous succombez à cette pression, si vous prenez vos décisions en fonction de ces forces exogènes, alors vous êtes condamnés à l’échec.
Si un club de foot n’est pas une entité comme une autre, il doit tout de même adopter l’attitude des entreprises qui réussissent : définir puis garder un cap, regarder toujours le plus loin possible. Car sans l’obsession du long terme, la réussite, quand bien même elle existerait à court terme, ne serait pas au rendez-vous de façon durable. Mieux vaut ne pas trop se fier aux 60 millions de sélectionneurs, car beaucoup d’entre eux changent généralement de direction aussi rapidement qu’une girouette. Les réseaux sociaux sont la meilleure illustration de cette réalité.
Notre objectif premier est d’obtenir d’excellents résultats sportifs. C’est notre priorité et c’est un exercice tellement difficile, incertain et risqué que la plus grande humilité est de mise. Après tout, non seulement une saison peut se jouer à un point près – un pénalty raté, un tir sur la barre, une blessure d’un joueur clé, une erreur d’arbitrage, etc. – mais notre sport est d’abord une affaire d’hommes (ou de femmes) à l’heure où l’on parle partout et tout le temps de technologie. Réussir à assembler la bonne combinaison dans un vestiaire, trouver l’alchimie entre des joueurs et un staff technique, parvenir au bon équilibre, tout ceci est un travail d’orfèvre. Et personne ne peut dire qu’il a LA solution ou LA formule magique qui garantirait le succès. Au bout du compte, c’est souvent la glorieuse incertitude du sport qui dictera sa loi…
Afin de voir plus loin et de permettre au club de grandir, cette structuration sportive est donc nécessaire et primordiale … mais pas suffisante. Depuis 4 ans, en parallèle du sportif, nous transformons peu à peu l’OM pour toujours gagner en puissance et faire en sorte que l’organisation du club lui permette d’atteindre les standards du top 20 européen.
Depuis mon arrivée, je me suis rendu auprès de plusieurs grands clubs européens pour apprendre de grands dirigeants, comprendre leur organisation, découvrir leurs méthodes, visiter leurs infrastructures. Et cela avec un seul objectif : déterminer la façon la plus efficace d’organiser le club et de toujours le renforcer autour d’un modèle qui nous est propre. Ce travail de l’ombre est par définition invisible, pas forcément toujours compris, mais pourtant indispensable à la réussite de notre projet qui a pour but, je le répète, de voir l’OM retrouver son rang de top club européen.
À Barcelone, j’ai découvert que rien n’était possible sans une attention forte portée à l’identité d’un club, sa préservation à tout prix, mais aussi son renforcement constant.
À Manchester City, j’ai découvert la force d’un partenariat gagnant-gagnant entre une ville et un club.
À Turin, j’ai découvert un centre d’entrainement exceptionnel, reposant sur une unité de lieu et des infrastructures comme je n’en avais jamais vues.
À Munich, j’ai vu toute la puissance économique d’une région leader derrière son club.
À Madrid, j’ai vu tout le poids d’une tradition et tout le respect pour une institution hors normes, qui dépasse toute autre considération.
Et sportivement, j’ai été impressionné par l’attention portée aux moindres détails et la perpétuelle quête d’excellence qui caractérisent tous ces clubs. Ce qui frappe quand on côtoie ces leaders, c’est la force de leur culture. Et cette culture explique pourquoi ils gagnent autant sur le terrain : une culture de la victoire, une culture de l’excellence, une culture de l’innovation, déclinée partout et pas seulement dans le secteur sportif.
De toutes ces rencontres et visites, j’essaie de tirer le meilleur pour le développement de l’Olympique de Marseille. Il s’agit de déterminer la meilleure façon de structurer le club pour disposer des talents humains, des infrastructures et des processus nous permettant d’être performants et en phase avec les besoins d’un top club de football au 21e siècle. Cela passe par un développement à long terme, en plusieurs phases. Nous avons aujourd’hui achevé la première phase de notre plan et entamons la deuxième.
Ce processus de transformation peut paraître nouveau dans un club de foot, mais est finalement assez fréquent aujourd’hui, dans tout type d’organisation, où les positions acquises ne le sont jamais et où l’on doit se remettre perpétuellement en question. Comme partout ailleurs, il n’y a plus de rentes dans le football, sauf si l’on dispose d’un budget incomparable par rapport à ses concurrents.
Depuis 4 ans, le club s’est donc transformé en profondeur, afin de pouvoir répondre aux besoins des années futures. Nos axes de travail ont été nombreux :
- L’amélioration des infrastructures a été constante, avec le stade Orange Vélodrome et l’OM Campus notamment, nouveau centre névralgique de notre politique de formation. La recherche de l’agilité et de la flexibilité a été privilégiée dans la définition des espaces et des moyens mis en œuvre. En seulement un an et demi, nous avons transformé l’Orange Vélodrome, ce qui nous ouvre des possibilités innombrables pour mieux accueillir notre public, développer des activités nouvelles et faire de notre stade une icône plus forte encore. Une chose est sûre, nous ne regrettons pas le temps où les équipes prenaient les clés du stade la veille des matches, après des heures de constat d’huissier, pour les rendre le lendemain.
- L’intégration des outils numériques a été généralisée en interne pour améliorer notre productivité, comme en externe où la stratégie média du Club a été complètement repensée. L’OM TV, un média sympathique mais du XXème siècle, a cédé sa place à un peloton de 30 spécialistes du marketing digital et des réseaux sociaux, qui ont révolutionné la façon dont l’OM s’adresse à ses supporters du monde entier. Aujourd’hui, l’OM compte 13 millions d’abonnés sur ses réseaux sociaux, ce qui nous place dans le top 20 européen.
- La maîtrise et le développement de la donnée a été mis en exergue, car un club de foot génère chaque jour des centaines de milliers de données, provenant du terrain comme de ses supporters. Analyser systématiquement ces données permet de prendre de meilleures décisions et donc d’être plus performants. Je veux que l’OM devienne le club français le plus avancé sur le plan technologique. Cette culture analytique est d’ailleurs utile lors de nos recrutements, où nous utilisons beaucoup de tests permettant de faire émerger les personnalités qui nous paraissent les mieux adaptées à la culture du club.
- Le renforcement des processus de gestion, avec de nouvelles méthodologies de travail, plus transversales, visant à casser les silos, a été systématiquement mis en œuvre. Collaboration, délégation, responsabilisation doivent permettre à l’organisation de générer davantage d’idées nouvelles et d’innovations. Nous devons continuer à prendre des risques calculés, tout en respectant une discipline budgétaire essentielle à l’heure où le retour à l’équilibre financier n’est pas une option mais un impératif.
Pour réaliser une telle transformation le facteur humain est prépondérant, puisque sans les Hommes derrière les missions on ne ferait rien. Nous recevons entre 150 et 900 CV par poste ouvert, preuve s’il en fallait de l’attractivité du club. Nous devons être très sélectifs et recruter les meilleurs. Gérer les individus est un défi permanent. Il se passe aujourd’hui à l’OM ce qui se passe dans toutes les entités en croissance : tout l’enjeu est de créer une cohésion et une complémentarité entre différentes typologies de collaborateurs, des plus anciens, garants de l’Histoire et de la tradition du club, aux plus récents, apportant leur regard nouveau, voire parfois iconoclaste.
Depuis 4 ans, en complément de collaborateurs de l’OM déjà présents depuis de nombreuses années et disposant d’une expérience unique, nous avons donc recruté de nouveaux profils aux compétences précises sur de nombreux postes. Cela a été le cas dans le secteur sportif comme dans le secteur administratif, je pense notamment au digital, qui revêt aujourd’hui pour les clubs leaders une importance majeure. Il a donc fallu des expertises nouvelles, correspondant aux nouveaux besoins. Il a aussi fallu des compétences venant d’autres horizons que le sport. Les entités qui innovent et prennent de l’avance sont souvent celles qui s’inspirent d’autres secteurs d’activité. Après tout, les fondateurs d’Amazon, d’Airbnb et d’Uber ne venaient pas du commerce, de l’hôtellerie ou du transport.
Autre exemple, avant le Covid-19, le patron France d’un des plus importants constructeurs automobiles au monde me disait à quel point son secteur était déstabilisé : comment se développer et assurer sa pérennité quand les jeunes ne passent plus leurs permis, n’achètent plus de voitures neuves et louent des véhicules pour leurs trajets, quels qu’ils soient ? L’une de ses réponses consiste précisément à entourer les managers ayant grandi dans l’industrie automobile par des jeunes talents issus du monde digital, prêts à penser en dehors des cases et normes du secteur, prêts à apporter des idées nouvelles. C’est la combinaison de ces deux types de talents qui doit créer l’étincelle et assurer le développement de l’organisation, club ou entreprise, pour les décennies qui viennent.
Nous allons continuer de recruter des managers ou experts renommés, qui permettent de poursuivre la montée en puissance du club et de nous accompagner dans la phase 2 de notre plan stratégique. Structurer l’OM à la fois en recrutant des experts très pointus, spécialistes de certains sujets, mais aussi des managers très expérimentés, capables de superviser des problématiques globales est une priorité. Un club de football ne doit pas être un one-man-show avec un Président omnipotent. La qualité de l’équipe de management à ses côtés est un facteur de succès absolument critique.
Prenons l’exemple de la décision de créer deux nouveaux postes à mes côtés : un “Head of Football” et un “Head of Business”.
Le recrutement du “Head of Football” découle de cette logique : monter un peu plus en puissance sur l’aspect sportif en recrutant un spécialiste du monde du football doté d’un profil d’un nouveau genre. Ce manager se projette sur le long terme, supervise la stratégie en matière de formation, affiche des qualités transactionnelles évidentes pour mener à bien les acquisitions et cessions de joueurs dans le cadre des objectifs fixés. Il est aussi le garant de l’équilibre financier du sportif et maîtrise parfaitement les aspects juridiques propres aux contrats et à leur négociation. Il est moderne et très analytique dans son approche de la donnée au service de la prise de décision. Ce « Head of Football » est plus qu’un directeur sportif. Il est un vrai responsable de P&L. Il est un support décisif pour le coach, véritable stratège du terrain, dont le but premier est de gagner les matches, gérer son effectif au quotidien afin de l’amener au plus haut niveau de performance tout au long de la saison. Le coach doit garder la mainmise sur le groupe professionnel. Le “Head of Football” doit placer le coach dans les meilleures conditions de réussite, tout au long de la saison, en lui permettant de se concentrer totalement sur le terrain et son groupe pro.
Cette logique s’applique également au secteur non-sportif. C’est pourquoi j’ai décidé de créer un poste de “Head of Business”, pour superviser l’ensemble des fonctions opérationnelles et fonctionnelles du club hors football. Il s’agit de recruter un manager très expérimenté, doué d’une excellente vision stratégique. Un leader capable de fédérer les équipes et de développer et suivre les plans d’actions de tous. Un gestionnaire avisé, qui a aussi une connaissance intime du potentiel des marques et une fine expérience des contextes internationaux. Une des clés du succès à long terme du club sera la relation de proximité entre ces “Head of Football” et “Head of Business”.
Vous le voyez par ces deux exemples, l’OM se transforme. Cela peut parfois paraître déroutant mais se transformer pour monter en puissance est la clé de notre succès dans les années à venir. C’est ce qui va nous permettre de réussir à combiner excellence au niveau sportif et agilité au niveau organisationnel. Et c’est mon devoir de Président que de mener cette transformation, malgré les bourrasques qu’elle peut engendrer, en continuant d’observer ce qui se fait ailleurs, pour tester et définir ce qui peut fonctionner le mieux chez nous. Inventer notre propre modèle en somme.
L’apport de Frank McCourt est essentiel à nos réflexions sur l’organisation du club. Il a obtenu des résultats brillants aux Etats-Unis, peut-être la première nation sportive au monde, où les ligues professionnelles ont depuis longtemps montré toute leur avance et leur professionnalisme. Son aide nous est précieuse pour traverser les crises et garder le cap que nous avons fixé, depuis le premier jour.
Voilà, j’ai pensé que ces réflexions vous permettraient de mieux comprendre tout notre travail en coulisses. Un travail un peu obscur mené par toute une équipe de managers mobilisés et qui ne comptent pas leurs heures. Je veux profiter de cette tribune pour les remercier chaleureusement. Ce travail attire moins la lumière, mais il est tout aussi décisif pour faire franchir à notre club de nouveaux paliers vers un seul objectif : que l’OM retrouve son rang parmi le top 20 européen.
Merci encore de l’intérêt que vous nous portez. Allez l’OM !”